La première édition du forum des
travailleuses domestiques organisé par l’ADDAD-Mali a réuni les 4, 5, 6 mars
environ 500 personnes, dont 300 travailleuses domestiques au siège de
l’association à Niamakoro Chèbougouni, Commune VI du district de Bamako. Les
banderoles reflétaient les thèmes du forum : la promotion et la défense
des droits des travailleuses domestiques. On pouvait y lire : « Stop
à la violence faite aux travailleuses domestiques », « Nous aussi,
nous avons des droits : Mois de congé par an ! Jour de repos par
semaine ! Heures de travail par jour ! ».
La première journée était consacrée
aux plénières, la deuxième aux travaux en atelier et la troisième journée à
l’élaboration du plan d’action, la synthèse des rapports et l’amorce d’un
réseau sous régional des travailleuses domestiques.
Première Journée
La journée d'ouverture du
Forum a commencé avec un peu de retard afin que toutes les aides ménagères
venues de loin puissent arriver.
En présence des associations et officiels (liste en copie jointe), le discours
inaugural a été prononcé en bambara et
français par la présidente de l'ADDAD, Sitan Fofana. Après ses mots de
bienvenue, la présidente de l’association a présenté l’ADDAD et les objectifs
du forum. L’association, créée il y a trois ans, procède de la volonté de faire
entendre la voix de celles qui subissent sans rien dire. L’ADDAD est membre de
l’UACDDDD et du réseau No Vox, qui œuvrent aussi pour la cause des démuni-e-s. Ce
forum a eut lieu grâce à la subvention annuelle de l’ONG Mama cash. La présidente
a évoqué les violences que subissent les travailleuses domestiques, leurs
conditions de vie et de travail. Les objectifs du forum sont entre autres :
- L’interpellation
des autorités,
- L’élaboration
d’un plan d’action de formation et d’information,
- La
conjugaison des efforts en vue d’une protection des intérêts matériels et
moraux des travailleuses domestiques,
- La
consolidation du réseau national,
- L’amorce
d’un réseau sous-régional.
(intégralité du discours en copie jointe)
Les
officiels et associations présents ont tous salué l'action de l'ADDAD, remercié
les militantes de leur action et encouragé l'ADDAD à continuer. Dans la foulée,
les femmes de l'UACDDDD ont apporté leur soutien et exposé les problèmes
qu'elles rencontrent liés au secteur informel : accaparement de terre et
déguerpissement, spoliation, démolitions des maisons et des lieux de travail,
arnaque des agents des impôts, de la police nationale et municipal.
Puis
eut lieu la Plénière ayant pour thème : quels sont les moyens que l'on
peut activer pour faire respecter nos droits et nos intérêts ? Tous les
groupes de l'ADDAD de Bamako, de Ségou, de Koulikoro et du Burkina Faso ont
témoigné. Les logeuses et des parents des aides ménagères ont également apporté
leur expérience.
Il
a été décidé de prolonger les débats le lendemain lors d'ateliers fonctionnels
Pour clôturer cette journée bien chargée de discussion à bâtons rompus, le
balafon traditionnel était de la partie.
Discours de la représentante du Ministre
Deuxième Journée
Pour
cette deuxième journée, des ateliers ont été mis en place, trois consacrés à
terminer le débat amorcé la veille sur les moyens que l'on peut activer
pour faire respecter nos droits et nos intérêts et construire un réseau
national, le dernier étant destiné aux partenariats et à l'avis des différents
partenaires et officiels.
Ateliers sur : quels sont les moyens
que l'on peut activer pour faire respecter nos droits et nos intérêts ?
Trois groupes,
composés uniquement de travailleuses domestiques, ayant pour
coordinatrices : Bintou Traoré, Mariam Koné et Oumou Sidibé ont débattu
autour des questions suivantes. Voici la synthèse de ce travail d'atelier.
1 – Que pensez-vous de l'association ADDAD ?
Témoignages :
« Ma patronne me forçait
à travailler même si j'étais malade et je dormais dans la cuisine. »
« Ma patronne m'a payé
des habits mais après quelques mois elle m'a accusé de vol et d'avoir une
relation intime avec son mari, puis elle m'a frappé très dur avant de me
renvoyer. Grâce à l'ADDAD je suis parvenue
à avoir un autre travail meilleur que le précédent. »
« Depuis que l'ADDAD est
créée au Mali, nous nous sentons en sécurité concernant nos salaires, nos
logements, la nourriture, l'ADDAD nous a appris comment nous comporter envers
une patronne. ».
2 - Quelles sont les voies et moyens pour défendre
nos droits et intérêts ?
Pour
défendre nos droits, il faut d'abord prendre des mesures de sensibilisation.
Car l'obtention de nouveaux droits passe par l'union du plus grand nombre à
travers l'ADDAD. Cela nous permettra de nous faire entendre des patrons et de
l'Etat en nous mobilisant ponctuellement, comme
lors de la journée de ce forum, de la femme du 8 mars et des journées
des travailleuses domestiques organisées par l’ADDAD chaque 1er
juin.
3 – Quels sont les voies et moyens pour pousser les
autorités à respecter nos droits et intérêts ?
Les
voies et moyens pour pousser les autorités à respecter nos droits et intérêts sont
:
- d’être plus nombreuses pour
avoir plus de force
- de communiquer via les médias : conférences de presse,
sketchs et messages à la radio et à la télé.
- d’organiser des rencontres avec
les autorités notamment le Ministère de la Sécurité, de la Promotion de la
Femme, de l’Enfant et de la Famille, le ministère de la Solidarité et du
Travail et les élus et de faire le suivi des recommandations.
- de travailler en partenariat
avec d’autres organisations de la société civile pour la cause.
4 – Que pensez-vous du centre d'accueil ?
Le
centre est une très grande initiative, c'est un lieu d'abri et d'espoir pour
les travailleuses domestiques. Nous pensons qu'il faut agrandir et renforcer
ces centres et les implanter dans d'autres villes.
5- Comment construire un réseau
national ?
Nous sommes d’abord les porte-parole
de l’ADDAD auprès des parents dans les villages. Il faut travailler avec les
autres organisations féminines de l’UACDDDD qui sont dans les régions. Il faut
rentrer en contact avec d’autres organisations de défense des droits des femmes
et des enfants dans d’autres régions. Il faut organiser des rencontres avec les
autorités politiques et administratives des régions.
Atelier : Comment nouer des partenariats
et autour de quelles revendications ?
Dans
un même temps s’est tenu un atelier avec des représentants étatiques et des
organisations présentes et des représentants de l’ADDAD et de l’UACDDDD. Y
étaient représentés la DNPEF, la police nationale, Maison de la Femme et de
l’enfant, FENACOP Mali, Amnesty International, AJA Mali, No Vox France. Les
problèmes qui touchent les travailleuses domestiques ainsi que des recommandations
y ont été formulées sur les sujets suivants.
1 : La sensibilisation.
Le
premier problème posé est de savoir comment sensibiliser les jeunes filles et
leurs parents face aux sirènes de la migration vers les villes pour devenir aides
ménagères.
Il
est préconisé de sensibiliser dans les communes, auprès du personnel de santé,
dans l'éducation (infrastructures, écoles) et auprès des maires... Ces derniers
se plaignent de ce que malgré le transfert des compétences, les moyens ne sont
pas mis en œuvre. Il faut donc coupler l'effort de la sensibilisation sur les
aides ménagères par une sensibilisation sur la connaissance de la loi de la
décentralisation au Mali, afin qu'elle soit correctement appliquée.
Il est demandé un suivi budgétaire
au niveau de l'éducation, pour que l'argent investi soit mieux utilisé.
La
révision du code domanial et foncier renforçant le droit coutumier et sa
matérialisation pour éviter les accaparements de terre, doit aussi être promu.
2 : Les
violences subies par les travailleuses domestiques.
Face
aux violences subies, il faut établir des actions de sensibilisation et des
sanctions. Il existe une appréhension des travailleuses domestiques victimes de
se rendre au commissariat et elles n’ont pas les outils de communication
nécessaires (notamment au niveau de la langue). Un accompagnement et une
assistance sont indispensables pour les filles qui ont subi des violences
(agressions, viols…)
Des
formations dans lesquelles l'accent est mis sur l'éducation sexuelle doivent avoir
lieu pour permettre de prévenir les grossesses précoces et les MST.
Le
représentant de la police propose que des cartes d'identité soient effectuées
pour les travailleuses domestiques n'en disposant pas, afin de leur faciliter
leur démarche et d’éviter les rafles. Il s'engage aussi à alerter sa hiérarchie
sur les éventuels agissements non appropriés de certains policiers.
Le
contrat de travail doit responsabiliser l'employeur par rapport aux aides
domestiques mineures.
3 : Les conditions de travail.
Sur
la durée du travail, il est rappelé les outils juridiques existants :
-
décret
96-178/P-RM du 13 juin 1996 portant application de diverses dispositions de la
Loi n°92-20 du 23 septembre 1992 portant Code du travail
-
article L.86,
article D86-10 sur les conditions générales d'emploi et de rémunération du
personnel de maison, qui stipule que le salaire minimum est de 21 936 FCFA par
mois.
Il a été dit à de nombreuses reprises que le Mali doit
ratifier la Convention C189 de l'OIT.
4 : Les conditions de
vie.
Il
est réclamé que les bonnes conditions
d'hébergement et d'alimentation reviennent à l'employeur
C’est
à partir de ces 4 ateliers que les recommandations ont été élaborées.
Troisième Journée
Pour la troisième et dernière
journée, les participant-e-s au forum étaient en nombre restreint : le
bureau exécutif de l’ADDAD et des mandatées des différentes régions et des
représentantes du bureau de l’ADDAD Burkina Faso.
Un débat sur les
activités, les modalités de fonctionnement, la mise en place et le
développement a été engagé entre le bureau de l’ADDAD et les participantes
présentes : une déléguée par groupements, de Koulikoro, Ségou et du
Burkina-Faso.
Le plan d’action de l’ADDAD pour les
années 2014 et 2015 a également été élaboré. Enfin, les recommandations de la
veille ont été regroupées et synthétisées, comme suit :
Recommandations du forum
1 – Réduction du nombre d'heures de travail des travailleuses
domestiques par jour et du nombre de jours par semaine.
2 – Respect des conditions d'hébergement et de nourriture des
travailleuses domestiques par les employeurs.
3 – Application des lois et décrets existants concernant les conditions
de travail des travailleuses domestiques
4 – Ratification par le gouvernement et application de la convention
C189 de l'OIT.
5 – Harmonisation de la législation interne avec les dispositions de la
convention C 189 de l’OIT
6 –
Soutien actif du gouvernement à la protection et la promotion du droit des
jeunes filles travailleuses domestiques
7 – Accompagnement, assistance et orientation des travailleuses domestiques
ayant subi des violences (agressions, viols…)
8 - Obligation de fixer un âge minimum pour l’entrée dans le travail
domestique et mesures de prévention des risques liés au travail des enfants au
Mali, spécifiquement du travail domestique.
9 – Sensibilisation de l’opinion publique sur les droits des
travailleuses domestiques par des messages radiophoniques et télévisés en
langues locales.
10 – Diffusion de sketchs à la télévision pour sensibiliser les
parents sur l’envoi de filles mineures comme travailleuses domestiques et sur
les violences subies par les aides ménagères.
11 – Création et renforcement d’infrastructures scolaires,
d’établissements de formation et d’activités génératrices de revenus en zones
rurales
12 – Mise en place de formations d’éducation sexuelles pour les
travailleuses domestiques
13 – Renforcement de l'article 43 du code domanial et foncier
renforçant le droit coutumier et sa matérialisation pour éviter les
accaparements de terre.
14 – Développement de campagnes contre les mariages précoces et forcés.
15 – Implication du gouvernement pour la reconnaissance, la protection
et l’assurance des travailleuses du secteur informel
16 – Implication des organisations de la société civile.
17 – Implication de l'Etat pour mettre en coordination les
organisations concernées par les problématiques liées aux aides ménagères.
Pour l’ensemble des
participant-e-s et pour l’ADDAD, ce forum est une réussite. Rendez-vous au
prochain forum et d’ici là, le 1er juin pour la journée des travailleuses
domestiques de l’ADDAD !
L'ADDAD est l'Association de
Défense des Droits des Aides ménagères et Domestiques, née il y a trois
ans, de la volonté de faire entendre la voix de celles qui subissaient sans
rien dire. Nous sommes membres de l'UACDDDD et du réseau No Vox, nous
travaillons aussi en étroite collaboration avec l'ONG Mammacash.
La sécheresse, les accaparements
de terre qui appauvrissent nos parents dans les zones rurales associés à la
pénurie d'infrastructures scolaires et de formation, contribuent à nous faire migrer pour
travailler comme aides ménagères en ville. C'est dans ces villes que nous
sommes considérées comme des choses à tout faire, certaines familles d'emploi
nous font subir toutes sortes de violences : violences verbales, agression
physiques, viols. Cela s'ajoute à des conditions de travail dignes
d'esclaves : nous travaillons 24h/24H, nous nous réveillons avec le
premier chant du coq et nous couchons très tard, prête à nous relever dans la
nuit en cas de besoin. Nous sommes en plus de cela mal nourries et mal logées,
et ce n'est pas nos salaires misérables entre 4 000 FCfa et 10 000 FCfa par mois qui nous rendront notre dignité.
Celle-ci est trop souvent volée par les
patrons ou leurs fils qui profitent de notre faiblesse financière pour nous
abuser sexuellement, certaines sont même contraintes de se prostituer pour
pouvoir subvenir à leurs besoins. Notre vulnérabilité est telle que certains
policiers raflent les bonnes souvent mineures la nuit et ils les violent. Suite
à ces rapports sexuels contraints, certaines tombent enceinte malgré elles, et
n'ont d'autres issues que d'avorter dans des conditions d'hygiène déplorables
voire d'abandonner leur enfant.
Face à ces agissements, nous
avons décidé de lutter ensemble pour nos droits et notre dignité qu'on essaie
trop souvent de bafouer.
Ainsi, nous nous sommes
organisées. Aujourd'hui, nous sommes environ 600 travailleuses domestiques
membres de l'Addad qui se répartissent
en douze groupements dans les six communes de Bamako, un à Koulikoro et
un à Ségou. Pour lutter nous nous sommes formées : nous avons effectué des
formations juridiques au droit du travail, en alphabétisation, d'éducation
sexuelle, au droit des femmes et des enfants. Nous avons également ouvert des
dialogues avec les patronnes pour améliorer nos conditions de travail, comme
recevoir le paiement régulier de nos salaires. Nous avons mis en place dans nos
locaux des lieux d'accueil pour les barakadens en difficulté. Enfin, chaque
année nous nous réunissons pour échanger nos expériences et des moments de
convivialité en dehors des luttes. Cette première édition du Forum des
travailleuses domestiques, que nous espérons renouveler chaque année avec votre
aide, est une étape de plus vers notre élargissement, tant les problèmes
rencontrés par les bonnes sont présents dans tout le Mali et dans d'autres pays
comme le Burkina-Faso ou l'ADDAD existe déjà..
Nous ne comptons pas en rester
là, et entendons faire respecter nos droits et en gagner de nouveaux :
-réduire les temps de travail
des bonnes de 17h à 8h par jour.
-réduire les jours de travail
de 7 jours à 6 par semaine.
-créer des centres d'accueil,
d'assistance , d'alphabétisation, d'orientation et de formation pour les aides
ménagères dans les centre villes.
-faire des campagnes de
sensibilisation dans les villages de départ pour la cause des travailleuses
domestiques mineures, et créer dans ces villages des projets pour encourager
les jeunes filles à ne pas céder aux sirènes de l'exode rural.
Le droit des aides ménagères peut
d'ores et déjà connaître des avancées concrètes par l'application du décret
96-178/P-RM du 13 juin 1996 portant application de diverses dispositions de la
Loi n°92-20 du 23 septembre 1992 portant Code du travail. En ce qui concerne
les droits des salariées nous demandons l'application de l'article L.86,
article D86-10 sur les conditions générales d'emploi et de rémunération du
personnel de maison, qui stipule que nous devrions être payées à minima à 21
936 FCfa par mois loin des 10 000 FCfa que les mieux loties d'entre nous
gagnent durement mensuellement. Par ailleurs, nous demandons à ce que nos
gouvernants ratifient la convention C189 adoptée par l'Organisation
Internationale du Travail sur le travail domestique et que le Mali est un des
rares pays à ne pas avoir signé. Plus largement nous demandons au gouvernement
de s'impliquer à la sensibilisation de la société malienne sur les droits des
aides domestiques et des jeunes filles mineures à travers les médias nationaux.
Aujourd'hui nous luttons pour nos droits en tant que travailleuses
domestiques mais aussi en tant que femmes ! C'est pourquoi nous appelons à
nous mobiliser tous les 8 mars lors des journées instaurées par notre illustre
aïeul Thomas Sankara. Inspirons nous dans notre lutte de ce que dernier
disait :« Quand on est malade, pour se soigner il ne suffit pas de
nommer le remède, il faut le prendre ! ».
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